Dans le contexte communautaire belge, la déclaration, à la mi-octobre, du colonel Luc Gennart, patron de la base aérienne de Florennes, a eu l’effet d’une bombe. L’officier déclarait que la plupart des postes de décision dans les forces belges étaient systématiquement attribués à des officiers néerlandophones dans le cadre d’un processus de « flamandisation », dans la foulée des premières déclarations sur le sujet du vice-président de la Commission de la défense, Denis Ducarme. Dans le même temps, il indiquait que l’avenir de la base de Florennes était menacé. Ses déclarations, très inhabituelles, n’ont pas tardé à lui causer des ennuis : devant déjà être muté prématurément, il a été relevé de son commandement et interdit de participation aux fastes de son unité. Il portera ensuite plainte au Conseil d’Etat, qui lui donnera raison et le rétablira dans ses fonctions. Alors que le ministre indiquait qu’aucun plan concernant la fermeture de Florennes n’était établi et qu’une commission sur la flamandisation allait être mise en place, le conflit s’est déplacé.

Le Chief of Defense (CHOD – l’équivalent du CEMA), le général Delcour, a remis sa démission au ministre, qui l’a refusé, une rumeur qui courrais ces derniers jours et qui a été confirmée par le quotidien La Dernière Heure. Quelques heures plus tard, le général Delcour convoquait une conférence de presse où il indiquera – fait unique pour un officier d’une armée européenne – que « Notre déontologie militaire et nos normes d’ordre et de discipline semblent devenues incompatibles avec les lois, ou avec les conventions signées par la Belgique« , ajoutant qu’un certain nombre de conventions internationales, « principalement en matière de droits de l’Homme » sont incompatibles avec la profession militaire. Dans le microcosme militaire, déclaration a eu l’effet d’une bombe : en Belgique, les officiers prêtent serment en jurant « d’observer la Constitution et les lois du peuple belge« . Par ailleurs, en tant que membres de l’exécutif, ils sont tenus respecter la séparation des pouvoirs, en l’occurrence, en ne critiquant pas une décision de justice. La déclaration n’est donc pas anodine et ne trouve aucun équivalent en Europe ou aux Etats-Unis ces cinquante dernières années. Etonnament, la presse n’a réagit qu’aujourd’hui.

Or, elle intervient dans un contexte passablement complexe : les négociations politiques entre Flamands et Francophones sont dans l’impasse depuis les élections de juin et la perception générale est que la future réforme de l’Etat décidera de l’avenir du pays. Comparativement, le processus de flamandisation est effectivement en cours et plusieurs militaires confient dans l’anonymat leur crainte de voir, petit à petit, passer en Flandre la majorité des bases et équipements lourds de l’armée – que ce soit ou non dans l’optique d’une éventuelle indépendance du nord du pays. Si le ministre de la défense pouvait souligner un léger déséquilibre entre généraux flamands et francophones, c’est toutefois au sein des postes intermédiaires dans les unités qu’il est le plus flagrant. Dans le même temps, si la fermeture de la base de Florennes ne fait pas l’objet d’un plan, l’option a été envisagée.

On comprend d’autant mieux le colonel qu’il n’existe aucun consensus politique en Belgique sur le remplacement des F-16 – une escadre est basée à Florennes – et que ces derniers commenceront à sortir de service vers 2020. Ne resteraient sur place qu’un escadron de drones B-Hunter… sur une base d’une taille très supérieure aux besoins réels. In fine, si les déclarations du général Delcour peuvent être interprétées comme un « suicide de carrière », il n’en demeure pas moins qu’il laisse derrière lui une armée dans une situation passablement complexe : sous-financée au niveau des équipements, réformée essentiellement par des coupes budgétaires mais non réorganisée en profondeur, doctrinalement placée sous la tutelle des affaires étrangères et souffrant de modes de gestion excessivement lourds, elle pourrait également bien être l’objet de convoitises de part et d’autres de la frontière linguistique. Si ces convoitises ne déboucheront certainement pas sur un scénario à la bosniaque, les forces armées belges sont indubitablement en train de connaître leur pire crise depuis leur création.